Témoignage d’une infirmière sur les conditions de travail

Je suis diplômée depuis presque 10 ans et ai vu nos conditions de travail et de protection sociale se détériorer progressivement malgré nos contestations et je n’aborde même pas notre rémunération…

J’ai travaillé d’abord en HAD, d’où j’ai dû démissionner à contrecœur car ma santé était en jeu (perte de poids, troubles du sommeil) ainsi que mon équilibre personnel (relation de couple détériorée, peu de temps personnel). J’ai donc changé d’établissement en pensant naïvement gagner en qualité de travail : j’ai donc testé la clinique privée car le CHU n’embauchait plus faute de budget. Au bout de plusieurs années, j’ai été progressivement dégoûtée du milieu hospitalier à cause des restrictions budgétaires successives. Je me suis donc tournée vers le libéral en espérant retrouver une liberté d’exercice : encore une désillusion.

Un détail en passant : à cause d’un déménagement, j’ai dû changer de région et donc m’inscrire à Pôle Emploi. Au seul et unique rdv, le conseiller m’a dit qu’il ne pouvait pas m’aider car ne connaissait pas le métier donc je ne pouvais compter que sur moi-même

HAD (hospitalisation à domicile) : c’est un service hospitalier à domicile avec des patients « lourds », c’est-à-dire handicapés, en fin de vie, très grosses pathologies, difficilement mobilisables, etc nécessitant une disponibilité de l’équipe soignante 7j/7, 24h/24h.

-Refus de payer les temps de transmissions entre les professionnels de santé pourtant indispensables soit environ 1h sur chaque journée

-heures de nuit de 20h à 22h non payées avec tarif de nuit car enchaînées à partir de 12h30 (amplitude horaire 12h30/22h) : la direction oubliait sciemment de nous payer nos heures de nuit au prétexte d’un texte de loi qui stipule que les 2heures suivant 20h si elles sont enchaînées avec des heures de jour sont considérées comme de jour. Nous n’avons jamais vu ce texte de loi…

-pas le temps de prendre les pauses repas

-suppression du poste logistique qui consistait à installer le matériel de soins au domicile des patients : les infirmières devaient le faire en plus de leur charge de travail donc porter de lourdes charges (parfois jusque 40kg de matériel à charger dans les voitures puis à transporter au domicile des patients sur le temps de la tournée)

-manque de personnel : les infirmières étaient parfois amenées à faire les tournées des aides-soignantes et compenser la surcharge de travail de l’infirmière coordinatrice.

-pas assez de véhicules professionnels : le personnel devait prendre régulièrement les voitures personnelles. Avec la suppression du poste logistique, les soignants devaient laver

eux-mêmes les véhicules et les amener au garage sur le temps dédié à la base aux patients. Lors d’un accident de la route, la voiture n’était pas systématiquement immobilisée et vérifiée par un garage avant que le prochain soignant ne reprenne la route avec ce même véhicule. Pendant la période hivernale, les véhicules n’étaient pas équipés de pneus hiver. Il n’y avait pas non plus de climatisation dans tous les véhicules, ce qui est problématique en plein été avec le matériel, les médicaments transportés et les prélèvements sensibles (prise de sang, analyse d’urines…)

-manque de matériel : il était compté toutes les semaines par le personnel soignant à la demande de la direction pour économiser au maximum

-soignants agressés lors des tournées dans les quartiers « chauds » : véhicules braqués, déplacements où même SOS médecin ne voulait pas se déplacer

-rappel sur les temps de repos, modification du planning sans avertir le soignant, non respect du temps de travail maximal légal

Clinique privée (2 établissements)

-formation insuffisante voire inexistante lors d’une prise de poste en service hospitalier : ce qui est très dangereux surtout en sortie de diplôme

-pression à l’embauche : la direction promet oralement un CDI en échange en prétextant qu’un poste va être ouvert dans les mois à venir et profite de votre attente pour précariser votre contrat actuel (ex : des contrats à la journée ou à la semaine) et vous faire travailler à des horaires et services non souhaités (ex : alternance jour/nuit, services lourds comme les urgences ou soins intensifs sans formation)

-astreinte déguisée : le cadre profite de vos contrats à la journée pour vous dire de rester à disposition de la clinique si jamais elle a besoin de vous (donc être disponible de suite pour aller au travail sans contrat pré-signé)

-mise en place de l’annualisation du temps de travail : les amplitudes horaires journalières sont donc modulables le jour-même à 20min près.

-non respect du planning : modification imposée dans un délai inférieur au temps légal, modification des plannings sans avertir le salarié, planning du mois suivant disponible après le 25 du mois précédent soit 5 jours pour s’organiser avec la nounou et la famille

-manque de matériel : vétuste, en quantité insuffisante, de mauvaise qualité

-manque de personnel : sous-effectif, rappel sur les temps de repos, infirmières remplaçants des aides-soignantes, aides-soignantes remplaçant des brancardiers

-manque de respect de certains médecins et cadres envers le personnel : intimidation, menaces, chantage, comportement sexiste (ex à la clinique saint Grégoire : cadre du pool licencié en 2017 pour harcèlement moral)

-heures supplémentaires non payées ou non récupérées, pauses repas écourtées voire sautées à cause de la surcharge de travail

-augmentation des jours de carence en cas d’arrêt maladie : certains venaient donc travailler pour ne pas trop perdre sur leurs salaires au risque de contaminer leurs collègues et les patients.

-congés refusés au dernier moment ou annulés par manque de personnel

Exercice infirmier libéral :

-pas d’assurance maladie d’accident du travail et maladie professionnelle (ou AT/MP) : nécessité d’une assurance volontaire

-pas de cotisation chômage donc pas de chômage si perte d’emploi (maladie, suivi de conjoint, reconversion,…)

-pas de congés payés : lors de vacances, il n’y a aucune rentrée d’argent

-carence de 90 jours consécutifs en cas d’arrêt maladie : nécessité d’une assurance privée appelée « prévoyance santé » pour pallier à un arrêt maladie mais qui elle aussi est soumise à certaines conditions de couverture et ne comprend pas toutes les pathologies

-charges étouffantes soit environ 50 à 60 % des recettes : assurances santé (assurance volontaire AT/MP, prévoyance santé, tarifs mutuelles non avantageux car pas d’employeur pour participer aux frais), caisse de retraite CARPIMKO (14% de cotisations et peut-être 28% bientôt), URSSAF (=cotisations sociales), cotisation CFE (cotisation foncière des entreprises), matériel de soins (seringues, gants, pansements, etc) et administratif (ordinateur, internet, imprimante, fournitures de bureau…), location ou achat cabinet (une adresse physique avec un cabinet pouvant accueillir des patients est obligatoire même si nous ne faisons que des soins à domicile), assurance « habitation » du local du cabinet, assurance de responsabilité professionnelle, paiement d’un logiciel de facturation ainsi que du lecteur de carte vitale, paiement d’un comptable pour faire nos déclarations de revenus (trop compliqué de le faire seule pour la majorité d’entre nous soit environ 600€ à 1200 € par an), assurance voiture avec tarif élevé (elle a triplé pur ma part quand je me suis installée en libéral), voiture professionnelle et frais de carburant, cotisation annuelle à l’Ordre infirmier obligatoire (75€ annuel contre 35€ en salarié), forfait de téléphone professionnel, numéros professionnels pour joindre la sécurité sociale payants, paiement d’une entreprise spécialisée pour éliminer

les déchets médicaux, cotisation compte professionnel, contrat privé prévoyance retraite individuelle car retraite légale insuffisante et j’en oublie sûrement…

-la sécurité sociale peut stopper les paiements dus sans préavis

-beaucoup d’appels malveillants pour des arnaques dans différents domaines : fiscalité, matériel de soins, mise aux normes, fausses cotisations

-pas de formation initiale à la nomenclature (=le tarif conventionné des actes remboursés) donc on se lance « à l’aveugle » et on apprend à facturer « sur le tas »

-nous sommes exposés physiquement : travail physique pénible (bcp d’entre nous souffrent de problèmes de dos par exemple) à cause des nombreux trajets en voiture, logements non- équipés pour les soins, patients avec des maladies contagieuses, nous intervenons dans des quartiers « chauds » où nous avons peur et des patients violents, etc

Je ne parle même pas des impayés de la part des patients et des retards de paiements des différentes caisses d’assurance maladies

CHU Rennes : la grève commence à s’étendre !

Des mouvements de grève se propagent dans différents services. Un rassemblement a lieu ce mardi 1er octobre. Malgré les réquisitions près d’une centaine d’agents sont présents : agents de sécurité té en grève à 100% contre la tentative de leur imposer des nouveaux plannings, pour la reconnaissance de leurs qualifications et la prime d’agressivité. Des agents des urgences sont présents (encore 200 entrées la veille et toujours un manque de moyens humains et matériels) ainsi qu’une forte délégation du service de Pneumologie (service restructuré avec fermetures de lits et suppression de postes) confronté à un manque criant de personnel. Même à effectif complet, la charge de travail n’est pas supportable. Présents aussi des agents des EHPAD et USLD (unité de soins de longue durée) du CHU qui ont déjà fait grève deux jours fin septembre. Des postes vacants depuis le mois de mars ne sont toujours pas pourvus. Un médecin arrivé à l’EHPAD il y a un mois veut repartir au vu des conditions de travail. Des brancardiers, des IBODE (infirmières de bloc) sont là aussi pour leurs revendications.

Comme le dit un agent de sécurité : « nous sommes de différents services, nos revendications convergent, il y a l’unité des syndicats, c’est ça que veulent les agents. »

Les agents de sécurité ont voté une grève reconductible.